J’ai enfin terminé la synthèse des 280 échantillons dégustés sur Vievinum 2010 à Vienne en Autriche (j’utiliserai Wien pour éviter les confusions avec la Vienne française). Le bilan est extrêmement positif puisque même avec un millésime difficile comme 2009, il y a très peu de ratés, et une moyenne très élevée de 79,3/100.
Pour la répartition, beaucoup de 2009 soit environ 120 vins, 80 sur 2008, 50 sur 2007 et le reste se partage entre 2006 et des choses plus rares de 2005 à 1995. Deux bon tiers de blancs, assez peu de liquoreux car ils me ravagent le palais par leur acidité, au point que cela devient douloureux. Habituellement, je déguste beaucoup de rouge en Autriche (! car la majorité des vins autrichiens sont blancs), car je suistrès intéressé et emballé par le Burgenland, qui est remarquable pour sa production de rouges. Seulement, une fois n’est pas coutume, je décide de me concentrer sur la Wachau et ses satellites que sont le Kremstal et le Kamptal.
Que dire donc de tous ces vins et, surtout, qu’en retenir ? Dans ce premier opus « Vievinum », je m’attarderai sur le cas des liquoreux, ces vins hors normes, pouvant atteindre 400g/l de sucres résiduels.
Mes coups de coeurs vont de manière assez peu surprenantes justement à des liquoreux. Si je prends mon top 10, 7 sont des TBA (Trockenbeerenauslese), BA (Beerenauslese) ou Ruster Ausbruch, c’est-à-dire des vins supérieurs à 150 g de sucre résiduel par litre. A côté de ça, Yquem peut se rhabiller ! C’est somme toute assez logique car :
1/ L’Autriche est un des plus grands producteurs de liquoreux. Jusqu’à la crise de 1985, c’était d’ailleurs leur spécialité. On trouve là-bas parmi les meilleurs vins de ce type, portés par des acidités remarquables et un équilibre en bouche incroyable.
2/ Les liquoreux proposés l’ont souvent été dans des millésimes plus anciens.
3/ Le profil aromatique et la typologie de ces vins les rends particulièrement adaptés aux dégustations du type salon.
Les millésimes présentées sur ce type de vin étaient principalement 2007 pour les TBA et affiliés, 2008 pour les vins moins concentrés et 2006 pour les Schilfwein (passerillés). Au vu des dégustations, 2007 est un excellent millésime de liquoreux, notamment en Burgenland. 2008 s’annonce magnifique sur les Beerenauslese (BA) et les degrés plus légers. 2009 sera inexistant car les conditions climatiques n’ont pas été clémentes. Feiler-Artinger, spécialise s’il en est des liquoreux, ne sortira qu’un seul Ruster Ausbruch sur 2009, en revanche, il faudra attendre pour juger les Beerenauslese qui pourront peut-être tirer leur épingle du jeu.
Les domaines qui m’ont particulièrement impressionnés sont Feiler-Artinger, avec une gamme de Ruster Ausbruch très homogène au niveau qualitatif et de jolies variations entre la version standard et les Pinot Cuvée et Chardonnay Essenz.
Toujours en Burgenland et toujours à Rust, Ernst Triebaumer a fait le pari des vieux millésimes. 1995 en Ruster Ausbruch est un vin magnifique, à maturité, très sur le cuir et ce type d’arômes « bruns », des vins patinés qui seront certainement magnifiques sur des fromages ou même certaines volailles (promis, j’essayerai). Il présentait aussi un Ruster Ausbruch 1998 absolument sublime, dominant le 1995 par son équilibre et ses fruits exotiques, qui en font un vin beaucoup plus charmeur. On s’en délectera pour lui même, contemplativement et en compagnie musicale, par exemple.
Burgenland encore, le domaine Hans Tschida dont je dégustais la gamme pour la première fois, est une des révélations (pour moi) du salon. Ses vins sont magiques, encore jeunes, mais un cran au dessus de la référence (et voisin) Kracher. Au demeurant, les vins de ce dernier ne déméritaient pas mais à mon goût manquent d’un surplus aromatique. Leur texture soyeuse reste cependant exceptionnelle et inimitable.
Le dernier domaine à m’avoir offert des liquoreux d’exception est A&F Proidl en Kremstal et c’est en fait le premier que j’ai dégusté lors de ce week-end. Son Riesling Senftenberger TBA 2007 et surtout sa Senftenberger Süsse Reserve sont des monstres de fraîcheur. J’ai perçu le second à une petite cinquantaine de grammes de sucres résiduels alors qu’il en affiche 115 au compteur. C’est dire !! Ces vins sont des chefs d’oeuvre d’équilibre et encore très jeunes.
Finalement, je recommanderai quand même à qui voudra se frotter à ces vins, qui titrent à plus de 250 g/l de SR, soit deux fois plus que les liquoreux français. De se rappeler deux choses. D’abord que ces vins n’ont rien à voir avec leurs homologues de chez nous. Ils disposent d’acidités absolument ahurissantes qui font passer 300 g/l comme s’il n’y avait que 100 g/l. Mais ensuite, que ces vins nécessitent quand même de s’y initier. Je vous conseillerai donc de commencer par des BA, en général deux à trois fois moins cher et beaucoup plus facile à aborder.
La question finale : un vin comme ça, ça se boit comment ?
Surtout pas sur un foie-gras ! Sur des desserts, notamment les desserts glacés. Attention au chocolat, vous risquez des accords malheureux, sauf si vous dégotez des TBA ou Schilfwein rouges (ce qui existe !!), qui alors seront sublimes. Vous pouvez les essayer aussi sur tout type de dessert qui ne soit pas trop sucrés. Desserts au fruits, desserts de restaurant. J’éviterais personnellement les cakes. Vous pouvez aussi apprécier ces vins tous seuls, comme digestifs.
Rappel des 7 du top 10 (notés entre 95/100 et 97/100, et je n’ai pas l’habitude d’être généreux, le top 3 est en gras)
– Ernst Triebaumer, avec ses Ruster Ausbruch 1995 et Ruster Ausbruch 1998
– Hans Tschida, avec ses Sämling 88 BA (Scheurebe) 2007, Chardonnay TBA 2007 et Muskat Ottonel Schilfwein 2006
– Feiler-Artinger, avec ses Ruster Ausbruch Pinot Cuvée 2007 et Ruster Ausbruch Chardonnay Essenz 2007