Le verre INAO est un verre standard inventé dans les années 1970 (début de l’âge d’or de l’oenologie). C’est un verre avant tout technique et, comme son autre nom l’indique, ISO, donc standardisé. L’interêt est majeur découle immédiatement de ce nom, il s’agit de la reproductibilité des résultats de dégustation. Dégustant toujours dans un verre INAO dont les cotes sont fixes, on élimine la variabilité du verre. C’est ce qui rend pertinent ce choix dans certains salons comme celui des Vignerons Indépendants : chaque année, on goûte dans le même verre et donc les impressions sont comparables. L’autre intérêt est sa praticité : il est compact et solide, facile à transporter et à tenir d’une main en faisant autre chose.
Est-ce que cela signifie que c’est un bon verre ? Evidemment, non.
Je disais dans le dernier billet que c’est un verre à défaut. Une des raisons en est que, dans ce verre, les arômes sont tellement denses (du fait de la position du nez) que les dominantes sont accentuées. Et en bouche, la position de versement implique que le vin arrive directement sur les gencives, accentuant la perception séquentielle des sensations. Les gencives en effet permettent notamment de qualifier les rapports acide-tannins. Sur un vin rouge, donc, ce verre va tout de suite isoler la matière tannique et permettre de la juger avec précision. Il est clair que ce n’est pas le but recherché dans une dégustation plaisir. Du point de vue technique, on comprend cependant l’intérêt de pouvoir sentir de manière exacerbée les tannins car il est souhaitable de connaître précisément leur qualité. Vous serez d’accord avec moi pour dire que si les tannins sont intéressants et font partie du charme d’un vin rouge, en dégustation non technique, c’est l’équilibre global du vin qui va nous intéresser.
Mais reprenons les choses logiquement. Visuellement le verre INAO est bien proportionné. le rapport paraison-épaule est proportionnellement du même ordre qu’un Zwiesel Diva, ce qui l’éloigne du C&S Open Up. Toutefois, la longueur de verre et son ouverture très refermée (pratiquement 1cm moins large que les C&S, Stölzle ou Zwiesel) va entraîner une concentration beaucoup plus forte des arômes.
Au nez cette concentration est d’autant plus forte que le verre INAO est conçu de telle sorte qu’il enveloppe le nez. Au contraire d’un Zwiesel où le vin à la place de respirer et de nous échapper, lorsque l’on place son nez dans le verre INAO, on obture littéralement l’ouverture du verre. Rien ne s’échappe, c’est 100% dans le nez. D’où cette concentration aromatique très forte et même brutale. Logiquement, les arômes les plus fins se sentent moins bien.
En bouche, la différence est encore plus flagrante. Outre le buvant souvent large, en terme d’épaisseur, la position de dégustation est très particulière. L’ouverture du verre étant minimale, cette position est dictée par la butée du nez sur le bord opposé du verre. Conséquemment, ne pouvant mettre le nez dans le verre, on pose la pointe des lèvres sur le verre et on aspire presque le vin. Le versement met le vin en contact avec les gencives et le bas de la bouche, ensuite vous allez faire remonter le vin sur la langue. Pour vous en rendre compte, je vous conseille de comparer à vide avec de l’eau glacée avec un autre verre et de vous concentrer sur l’endroit où vous percevez cette sensation froide. Avec un Zwiesel Fortissimo, le vin arrive beaucoup plus haut dans le palais, plus rapidement sur la langue. La sensation est plus large, généreuse, aussi. Il est donc logique que l’on ait un meilleur équilibre, une meilleure vue d’ensemble du vin puisque simultanément vous aurez vos gencives (légèrement) et la langue imprégnés. Avec le verre INAO, on a un déroulement très nettement séquentiel : gencives+bas de la bouche puis langue. Naturellement, comme je vous le disais l’effet va être « dramatique » pour la perception de tannins et de l’acidité qui interagissent particulièrement avec les gencives et les glandes salivaires (qui se situent grossièrement sous la langue et au fond de la bouche). Ces dernières seront dès le départ et intensément en contact avec le liquide, ce qui ne serait pas le cas autrement.
Ces éléments vous permettent sans doute de comprendre pourquoi on parle de dégustation technique. Le verre agit un peu comme lorsque l’on analyse un film (en commençant par un découpage précis de chaque plan) ou une composition musicale (en prenant en compte l’harmonie, le contre-point, les mesures et les variations…) : il découpe les sensations. Par contre, le défaut, c’est qu’autant on peut choisir avec un Zwiesel Fortissimo d’analyser le vin, comme une composition ou de l’admirer comme une oeuvre, autant le verre INAO impose une perception analytique dont il va être beaucoup plus difficile de se dégager (c’est possible en aspirant plus fort le vin pour le faire arriver par le dessus de la langue).
Au bout du compte, un problème essentiel reste : l’inconfort de dégustation. Buvant large, ouverture réduite, butée du nez sur le col, lèvres sollicités et bouche en retrait… font de la dégustation dans ce verre une épreuve. Technique est là encore le mot. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que dans la dégustation, le contexte joue un rôle important et l’apparence visuelle « mesquine » du verre INAO ne peut que desservir le vin que vous avez dans le verre.
Moralité, le verre INAO est un bon instrument au sens outil. C’est un verre qui naturellement est meilleur que les verres ballon ou les affreuseté que l’on utilise en France dans les banquets ou dans les brasseries. Mais il ne tient pas la route sur table. Pour ma part, même en dégustation au domaine ou sur salon, je préfère avoir un vrai verre comme le Stölzle car non seulement c’est cette expérience du vin qui m’intéresse mais encore un verre de ce type permet aussi de déguster à la manière du verre INAO. Reste donc les arguments de compacité (on peut se promener avec un verre INAO dans une sacoche ou même une poche de veste) et la certitude que l’on retrouve partout le même référentiel.
J’espère que ces éclairages vous auront été utiles. Il est à noter finalement que le verre C&S Open Up porte en lui un peu des défauts du verre INAO car la position de dégustation provoque également cette sollicitation importante des gencives et glandes salivaires.
C’est limpide, merci de cette explication !
Chose promise, chose due ! A bientôt.