C’est un rite annuel : la dégustation du dernier millésime de François Cotat. Ce n’est pas une dégustation toujours facile car ses vins sont construits pour la garde et ne s’exprimeront parfaitement que dans 10, 15 ou 20 ans. Mais d’un autre côté, il n’y a rien de plus simple vu qu’il ne rate quasiment aucun millésime. Sur ces dix dernières années, par exemple, je ne noterais que 2004 en retrait. Et encore, si mon opinion est particulièrement sévère (et celle de François, juste réservée), d’aucuns apprécient cette année précise.
François Cotat en Sancerre est très atypique. A tel point qu’il lui est arrivé par le passé de ne pas obtenir l’agrément pour certains de ses vins. D’ailleurs, il a cessé de le demander pour son rouge qui ne l’obtient jamais car… il ne fait pas la fermentation malo-lactique ! De surcroît les volumes sont tellement limités qu’il ne le commercialise pas vraiment. Ses vins ne sont que rarement prêts à boire avant une dizaine d’année, exception faite du rouge rarissime, du rosé et du blanc « les Caillottes ». Sur les dix derniers millésimes, je peux vous conseiller d’ouvrir : les Caillottes (alias Jeunes Vignes) 2005 et 2006 ainsi que l’ensemble des 2003. A horizon un peu plus large, les 2001 et 2000 sont superbes. Pour le reste… il faudra se rappeler le dicton « Patience est mère de vertu ».
L’immense plaisir des vins de chez Cotat reste que plus vous les attendez, meilleurs ils sont, dès lors que vous avez passé la période des 10 ans de jeunesse. Ils ne s’abîment jamais : un placement redoutable d’efficacité.
On démarre donc sur ces 2012. 2012 fut un millésime globalement difficile en France et même faible dans beaucoup de régions. Les rares à s’en sortir parfois brillamment sont le Centre avec Pouilly et Sancerre, ainsi que la Vallée du Rhône et certains en l’Alsace. La dégustation commence toujours par les blancs, par ordre de cru, puis on enchaîne souvent sur un ou deux millésimes plus anciens.
Les Caillottes 2012 sont d’une jaune paille très clair, à reflets verts, comme tous les vins de 2012. On y découvre un fruité joyeux et évident. Aucune trace variétale (pas de buis ou bourgeon de cassis). Le vin est vraiment très agréable, expressif même, avenant. Il est plein de fruit, pas trop silex. La bouche est souple, bien construite. Sur le fruit blanc et les fleurs, toujours, avec une matière très intéressante et plus dense que les millésimes précédents de Caillottes (sans doute l’âge grandissant des vignes). La longueur est remarquable et sur la fraîcheur. C’est un vin qui donne le ton, ouvert, fruité avec une acidité nette mais douce. Aucun excès ni dans un sens, ni dans l’autre. Sur cette cuvée toujours plus simple, de jeunes vignes qui ne pardonnent rien, il est de bon augure de trouver un tel jus. C’est une très belle bouteille, déjà appréciable mais qui se bonifiera pour commencer de se livrer dans 3 à 5 ans. 81/100 ; 5 ++ (id est, on peut en attendre 90-92/100 dans 5 à 10 ans).
Les Monts-Damnés 2012. Au contraire des autres, cette bouteille vient d’être ouverte, or à cet âge de leur vie, les vins du domaines sont bien plus facile à aborder après quelques jours, voire une semaine. Toujours cette couleur vive, jaune pâle à reflets verts. « Visiblement » c’est plus fermé. Le fruit est retenu bien que présent, comme caché derrières quelques très élégantes notes végétales (un soupçon de bourgeon de cassis). La minéralité habituelle de ce terroir éclate au nez avec ces notes typée de silex, de pierre mouillée, sèche. Très difficile à décrire. Un nez que je qualifierais de droit. Impeccable, taillé comme un diamant. La bouche est plus facile à lire, comme souvent sur les vins trop jeunes. Ce qui marque le plus, c’est le contraste avec le vin précédent. Alors que Caillottes était déjà magnifique, une grande marche est grimpée quand on touche à la matière de Monts Damnés. Puissamment structurée, organisée, cette bouche très intellectuelle est sublime. Aromatiquement, ce sont les agrumes qui se développent particulièrement en finale, citronnée, superbe. La longueur est grande, pure… c’est une bouteille qui ira loin. 87/100 ; 10 ++
Culs de Beaujeu 2012 de nouveau un vin ouvert depuis plus longtemps. La couleur est un peu plus soutenue. Le contraste n’en reste pas moins saisissant. Le nez ne montre pas ces notes minérales (qu’il ne montre jamais, d’ailleurs) ni les touches végétales (élégantes) de Monts Damnés. On est ici plutôt sur une trame exotique avec quelque chose de poivré. C’est un vin beaucoup plus évident, immédiat et même sensuel (toute proportion gardée). La bouche est large, puissante. Le fruit est plus mûr, plus exotique, moins agrume. La longueur excellente. On trouve de surcroît des notes épicées et la touche végétale absente du nez apparaît en milieu de bouche. C’est beau ! Même si le contraste expressif provient largement de l’ouverture, ce vin semble beaucoup plus spontané que Monts Damnés. Un caractère finalement récurrent de cette cuvée. Le fait, cette année, qu’il reste un peu de résiduel (un peu plus) n’y est sans doute pas étranger. 90/100 ; 10 ++
La Grande Côte 2012 est d’un jaune légèrement plus intense, toujours à reflets vers. Le nez est plus complexe, plus riche, plus expressif. Un pallier est franchi en terme d’arômes exotiques, la mangue apparaît, soutenue de fruit jaune (pêche). Même si on ressent bien que le vin est tout en retenue, il livre déjà énormément d’éléments, de précurseurs… en bouche, tout est sublimé : matière, aromatique, élégance… La complexité est incroyable, toujours tournant autour de l’abricot, de la mangue, de l’ananas, du citron avec un trait végétal qui ajoute encore en complexité. La matière donc est imposante, puissante avec une finale tendue magique. La longueur est déjà immense. Magnifique bouteille, qu’il faudra certes attendre, mais qui devrait s’élever très haut dans le panthéon des vins. Tout dans cette bouteille est à sa place : matière, aromatique, acidité, alcool, richesse. La Grande Côte est toujours un vin d’exception mais je l’ai rarement vu à ce niveau d’équilibre. L’avenir nous confirmera sans doute la haute naissance de ce vin. 93/100 ; 10 ++ (je peux pratiquement parier que ce vin touchera les 100/100 dans quelques années… voire plus !)
Nous en avons fini avec les blancs 2012, superbe série, nous allons maintenant goûter deux de leurs aînés, 2001 et le grandiose 1995.
La Grande Côte 2001, un millésime à part. François Cotat nous explique que cette année là, il n’aimait pas les acidités. Trop élevées. Alors il a attendu. Quinze jour après que tout le monde ait terminé, il a commencé. Il était tranquille dans les vignes, nous dit-il. Pourtant il considère que c’est de la chance pure et simple. Il a attendu à cause de cette acidité et il a gagné une semaine et demie de grand beau temps. Au lieu de sortir un millésime correct mais dur, il a réalisé une grande année. Malheureusement ce vin est ouvert depuis plusieurs semaines, donc je ne le noterai pas. Le nez développe des arômes puissant de truffe blanche, caractéristique de la Grande Côte à maturité. Les fruits exotiques sont intense. Une note de miel ouvre la bouche qui termine sur une acidité salivante mais bien présente. En bouche surtout, l’on sent la fatigue. A l’ouverture, on devait friser le parfait. Un 95+ sans doute… et toujours superbe.
Mais il n’avait pas dit son dernier mot, il retourne chercher une autre bouteille dans son trésor :
La Grande Côte 1995, le lot de consolation me convient fort bien, car pour connaître la bouteille, c’est une des réussites des années 1990. La bouteille aura un peu le défaut inverse d’avoir été ouverte trop tard. La truffe blanche est à nouveau présente mais légère, pas dominante, on trouve aussi le cassis, le bourgeon de cassis, un peu de fruit rouge. Pas tellement exotique au nez. La bouche révèle une complexité à la fois puissante et aérienne, c’est du grand art. L’équilibre est parfait et montre ô combien le 2001 n’est que presque parfait. Cette fois au sein de cette bouche à la densité incroyable, nous allons retrouver la mangue, le fruit de la passion, les baies, une touche de vert… dans deux ou trois heures de carafe, le vin serait certainement idéal. Sa jeunesse est surprenante, à peine doré, aucune oxydation… 100/100 ; 10 + , peut être une vue de l’esprit mais ce vin déjà parfait sera encore meilleur dans 5 ou 10 ans !
Arrivés au sommet, nous changeons de registre pour finir sur le plus humble mais non moins excellent :
Rosé 2012, déjà habituellement limitée, la production sur 2012 est quasi inexistante. Ce Rosé est toujours étonnant car il sort des codes. Il est toujours très expressif et c’est un reflet puissant du millésime. Il peut être sec, demi sec… et il vieillit admirablement. Cette année, il marque par son caractère vineux. La couleur est marquée (tout l’opposé de 2010 qui semble plus un blanc taché qu’un rosé), son nez est extraverti, sur le fruit rouge comme la groseille, la fraise et la framboise. Relativement complexe, il a une bonne tenue. La bouche, elle, est puissante et construite. Il semble venir de bien plus au sud. Le fruit revient, surtout la groseille et l’ensemble se termine avec une impression de mâche intéressante, une impression de vin. Puissant. Sans doute ses 14 et quelques % expliquent cette tenue inhabituelle. Voilà un joli vin, qu’il faudra savoir attendre quelques année pour en tirer tout le potentiel. 86/100 ; 5 +
En conclusion de cette dégustation, je dirais que 2012 est manifestement une grande réussite. Les vins sont promis à un très bel avenir si on n’est pas tenté de toucher cela trop tôt. Sur la base de cette dégustation, il fait partie des meilleurs millésimes de ces 10 dernières années car il a tout mais surtout il a l’équilibre.
pour avoir pu déguster le mois dernier,avec la maman de francois comme guide,je suis en total accord avec l’ensemble de vos commentaires.Quelle chance de pouvoir se procurer ses vins avec cette politique tarifaire….