Du bon usage de la carafe : Château Beaucastel rouge 2008 (France, Châteauneuf-du-Pape)

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J’ai eu la chance au court de la semaine dernière de déguster par deux fois un Château de Beaucastel rouge 2008. Le millésime 2008 peut être qualifié en Vallée du Rhône de millésime mineur, avec des variations importantes entre le Nord, très mauvais en Côte Rôtie et le Sud, où il est réussi dans les Costières de Nîmes par exemple. En moyenne, on se trouve devant des vins plutôt légers avec un joli fruit et des tannins peu marqués (avec le risque de la sous-maturité et de la dilution quand le vigneron ne s’en est pas sorti). Si vous êtes en face d’un domaine de qualité, 2008 a de forte chances d’être un vin accessible plus vite, qui n’aura pas le potentiel de vieillissement d’un grand mais devrait vous permettre de bien goûter le vin dès maintenant et sur 10 ans.

Beaucastel 2008 était un parfait objet d’expérimentation. Ce domaine fait preuve d’une régularité exemplaire et rare. Il produit des vins de longue garde, qui ne s’épanouissent véritablement qu’après 10 ou 20 ans, voire 30 pour les grandes années. En 2008 par exemple, j’avais goûté un 1989 parfait et à qui on aurait pu donner dix ans de moins compte tenu de son évolution.

Ce vin est l’exemple même du vin adapté à un passage en carafe prolongé.

A ce sujet, sachez que la carafe permet d’oxygéner le vin non seulement lorsqu’il s’y trouve mais aussi lorsqu’on le verse. Le simple passage en carafe a déjà un effet très important sur le vin. Ensuite, ce qui importera est la section de la carafe au niveau qu’atteint le vin. Si l’on considère une carafe à décanter normale, d’un diamètre de 14-15cm, la surface de contact avec l’air est donc d’environ 150 cm2, si j’ouvre une bouteille et la laisse ouverte, la surface de contact sera d’environ 5 cm2. On a donc une surface d’échange trente fois supérieure en carafe. Mettons que l’on retire un verre pour goûter le vin et l’on se retrouve avec une différence de l’ordre d’un facteur 10.

En terme de surfaces d’échanges, on conviendra qu’un carafage d’une heure équivaut à 10 heures d’ouverture en bouteille « épaulée », soit une bouteille dont on a retiré un verre de vin ; ou encore 30 heures d’une bouteille simplement débouchée. Une première remarque consiste à dire qu’ouvrir une bouteille quelques heures avant le repas, sans aucune opération à la suite n’aura pratiquement aucun impact sur le vin. La seconde remarque est que ces possibilités vous permettent d’avoir une grande flexibilités quant à l’effet recherché, une fois que vous aurez ouvert le vin.

Dans tous les cas, préférez toujours, si vous prévoyez un long carafage, une très longue ouverture sans carafe. A cela une raison, l’opération est moins traumatisante pour le vin et vous aurez presque toujours un meilleur résultat. Ensuite, prenez en compte que le carafage a un effet immédiat très important. Autant vous pourrez laisser deux ou trois heures de plus un vin simplement ouvert en bouteille, autant une heure de carafe peut avoir un effet désastreux. La carafe est donc un outil à manier avec précaution, surtout si vous comptez que le service lui-même s’étale souvent sur une demie-heure à une heure.

En règle générale, un vin qui doit être carafé (raisonnablement) n’a besoin que de une demie-heure à une heure et demie en carafe. Rare sont les vins nécessitant et bénéficiant de carafage longs (supérieurs à 3h) car il vont souvent s’effondrer avant de s’ouvrir. En tout cas, pensez bien que 30 à 45 minute auront déjà un effet très important. Il est difficile d’apprécier sans expérience si un vin va bénéficier du carafage (il y a l’aspect ouverture/fermeture aromatique, la qualité des tannins, une verdeur…). En règle générale cela convient aux vins européens, jeunes, de moyenne et longue garde. Il est en revanche, généralement, déconseillé sur les vins du nouveau monde. Ceci dit, c’est une règle générale qui souffre de nombreuses exceptions.

Ce Beaucastel 2008 a été dégusté la première fois avec une heure trente de carafe. Beaucastel et singulièrement les Châteauneuf-du-Pape sont des vins de longue, voire très longue, garde. Il est bien rare que le potentiel d’un vin ne s’affirme avant une dizaine d’années. 2008 est un millésime plus accessible du fait de sa moindre structure. Il n’en reste pas moins difficile. A l’ouverture, le vin n’est pas muet, mais presque. Après carafage, il va s’exprimer sur le fruit frais (groseille, framboise) et présente une très belle matière, soulignée par une acidité bien présente en bouche. Dans l’ensemble, c’est un très bon vin, qui ne trahit pas vraiment les limites du millésime. Il est assez souple et manifestement tiendra de nombreuses années en cave. Je le note 81/100 lors de cette première dégustation. La bouche en particulier manque un peu de tenue. Toutefois, il est clair au cours du repas que le vin s’améliore, relativement vite et qu’il est de toute façon plaisant. Ce même vin sera donc redégusté le lendemain mais avec une préparation idoine.

La seconde bouteille est dégustée vers 20h00 après avoir été décantée à midi. Huit heure de carafe. Voilà qui est un passage rare et particulièrement long en carafe. En ouverture « normale », cela correspondrait à plus ou moins 80h, soit un peu plus de trois jours. Cette énorme différence explique bien comment on peut goûter chez certains vignerons des vins ouverts une semaine plus tôt et qui goûtent très bien. Dès le passage au nez, la différence est patente. Le nez s’est ouvert. Il est beaucoup plus complexe, expressif, avec du fruit mûr et des notes de bois ciré très plaisantes. Vraiment splendide. La bouche s’est métamorphosée. Elégance, souplesse, harmonie. Pas de trace de cette acidité un peu trop présente, pas de petit fruit rouge trop simple. Ce vin est ample, s’installe en palais. Pour la précision, je le note ce soir là 89/100.

Le gain sur ce vin est flagrant. Je pense que certains se demandent à ce point si le carafage permet de faire vieillir plus vite le vin ou du moins, s’il permet de boire un vin jeune sans attendre. A cela, pas de réponse simple sinon que non, le carafage ne fait pas vieillir plus vite, il permet surtout de permettre une oxygénation rapide du vin (entre autre) qui va donc « forcer » certaines transformations. Cela va se concrétiser dans la possibilité de prendre du plaisir sur un vin trop jeune. Mais en tout cas, cette pratique ne se substitue pas au vieillissement. Par exemple, si efficace ait été ce carafage de Beaucastel 2008, je peux vous assurer que le vin sera encore supérieur (surtout du point de vue de la complexité) quand les ans auront passés. C’est en revanche un outil utile quand vous n’avez pas le choix du millésime (restaurant ou début de construction de cave, par exemple) et dans un cas particulier, c’est très efficace : dans le cas de vins « réduits ». Par ailleurs, il est difficile d’être assuré à l’ouverture d’une bouteille que le vin est exactement à son apogée, le carafage peut permettre d’ajuster le vin. Nous parlons dans ce cas de carafage court, de 30 minutes à 1 heure.

Pour terminer, et bien que j’use souvent de cette technique, je vous livrerai cette conclusion : si vous devez réaliser un long carafage, c’est que le vin n’est pas prêt à être bu. Dans l’absolu, seul un court carafage (et idéalement, aucun), peut se justifier pour débloquer un vin un peu trop jeune. Au cas contraire, c’est un pis aller. Vous pourrez certes vous faire plaisir, mais vous perdrez une partie du potentiel du vin.

Certes… mais il est toujours tellement excitant d’ouvrir les vins que l’on vient de découvrir nous-mêmes, pour les faire découvrir à d’autres. Un vrai cercle vicieux ! D’autant que dans le cas de mon exemple, je n’aurais aucun scrupule à renouveler l’opération.

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